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23/02/2010

"heroes just for one day"

A midi, pendant que l'on papotait devant la machine à café, mon amie a reçu un sms de son mari, en mission en Afghanistan.

Pâle, incapable d'articuler un mot, elle me l'a fait lire :

" On a un soldat grièvement blessé et un mort. Je commence à avoir peur. "

A la télé, on a vu sa photo. Un jeune homme de trente ans environ. Sa femme enceinte l'attendait dans trois mois.

Il lui reviendra en héros post-mortem. Piètre consolation.

J'imagine son désarroi. Celui de mon amie aussi, à chaque fois que le téléphone sonne, à chaque fois que son mari ne peut lui donner des nouvelles...du front.

Je me souviens mon prof d'histoire du collège qui s'époumonait à chaque fois qu'elle nous disait : " les Roumains n'ont mené que des guerres de défense, ils n'ont jamais voulu accaparer des territoires. "

Et là, maintenant ? Qui et quoi les mènent ?

Comme ça, à la poursuite du vent, sans même avoir le temps de dire "adieu" comme dans cette magnifique lettre : 

"Le 21 fevrier 1944

Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien aimée,

Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde. Nous serons fusillés cet après-midi à quinze heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie. Je n'y crois pas mais je sais pourtant que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

Je m'étais engagé dans l'armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre. Écoutez la douceur de la liberté, de la paix de demain.

Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement.

Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand. Chacun aura ce qu'il mérite comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous.

J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse. J'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre sans faute et d'avoir un enfant pour accomplir ma: dernière volonté. Marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse.

Tous mes biens et toutes mes affaires, je te les lègue à toi, à ta soeur et à mes neveux. Après la guerre, tu pourras faire valoir ton droit à la pension de guerre en tant que ma femme car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la Libération. Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits. Tu apporteras mes souvenirs, si possible, à mes parents en Arménie.

Je mourrai tout à l'heure avec mes vingt-trois camarades avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille.

Aujourd'hui il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai Adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme, et mes bien chers amis.

Je t'embrasse bien fort ainsi que ta soeur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près. Je vous serre tous sur mon coeur. Adieu.

Ton mari, ton ami, ton camarade.
Michel MANOUCHIAN. "

 

J'ai la tête dans les nuages, mais je ne suis pas naïve au point d'ignorer les enjeux de la guerre, de toutes les guerres, que je trouve immondes, cruelles et inutiles. "Les choses sont ainsi", dira une fois de plus notre président, pour s'épargner d'expliquer quoi que ce soit. On l'attendra à l'aéroport, avec la garde d'honneur qui intonnera l'hymne national.

Mais moi, c'est cette magnifique chanson de Peter Gabriel que je lui offre. Pour sa jeunesse, son audace  et tout ce qu'il n'a plus eu le temps de vivre.

C'est la variante symphonique, parue sur son plus récent album "Schratch my Back" -vous pouvez en lire davantage ici- :

http://www.chroniques-d-une-citoyenne-ordi.com/article-sc...

 "Album symphonique de reprises dont le principe est "Orchestra, no drums, no guitars" ... Album de reprises, pas les siennes, mais que de l'excellent Bowie (Heroeeeeeees, yeah!), Lou Reed, Arcade Fire, Radiohead, Neil Young, Regina Spektor, Paul Simon ...


Un vrai bijou sur lequel il offre sa voix chaude, douce, aux accents d'une profondeur animée qui m'enchante."

 

Commentaires

Que ne trouve-t-on pas comme raisons pour justifier la guerre...
Y en a-t-il seulement une qui soit pleinement justifiable ?

Écrit par : Didou | 24/02/2010

je me joints à toi.

Écrit par : charles | 24/02/2010

Je sais que ce n'est plus trop le jour ni le moment, mais j'a souhaité un heureux anniversaire à la maman mais pas à la fille... J'ai un peu honte de mon retard....
Alors gros bisous à toutes les deux...
Ton billet est touchant et me fait penser à ma grand-mère maternelle qui me racontait le retour de son mari de la guerre, celle de 14-18... Il était parti là-bas pour défendre son pays bien sûr, mais il était persuadé que celle-ci n'allait pas durer...
Il est revenu mais gazé et très malade, sans ses amis morts dans les tranchées et avec un discours qu'il n'avait pas eu pour son départ... Il haïssait la guerre... Il est mort juste avant la seconde... Heureusement disait ma grand-mère...
Cette lettre est terrible par sa lucidité, de savoir que l'on va mourir... Merci Dana...

Écrit par : Virginie | 24/02/2010

bonsoir Dana.... comme cette note est triste...ce jeune qui allait être fusillé.... sa vie qui défile, le bonheur qu'il n'aura plus, les recommandations....
cette dernière guerre mondiale fut terrible.... que de morts.... tous ces jeunes dont la vie fut abrégée...et en Afghanistan, une guerre qui s'éternise encore, et finira-t-elle un jour ?
La vie c'est une drôle d'histoire....
je vais écouter Peter Gabriel.... je te fais une bise

Écrit par : loula | 24/02/2010

Bonsoir Dana ... Décidément ce "Heroes just for one day" est une récurrence et rappelle des choses à tout le monde ...
On a tous notre moment "heroes just for one day" ... Souvenons-nous juste, pour apprendre à relativiser les épreuves, que, vécu au pied de la lettre, c'est bien plus dramatique que n'importe quel chagrin d'amour ...

Écrit par : Manue | 24/02/2010

Sur mon écran aucune vidéo n'apparait...je repasserai plus tard.

Rien ne peut justifier une guerre, encore moins que l'on meurt pour des raisons qui nous échappent totalement.

Lorsque l'on s'engage dans une armée, on sait que l'on peut être appelé à tout moment pour un conflit et peut être y laisser sa vie...tout comme une personne peut mourir sur son lieu de travail.

Lorsque je regarde avec un peu de recul ce qui se passe en Irak, je suis totalement perdu. D'un coté il y avait un dictateur, et aujourd'hui on nom de la liberté c'est pire qu'avant...
Avons "nous" commis une erreur ou bien les enjeux économiques l'emportent sur tout, même la raison...

L'afganistan, les puissances occidentales ont joué par le passé un bien drôle de jeu. Je pense surtout à l'URSS et les USA...

Assis dans leur fauteuil, nos "généraux" déplacent les pions telle une partie de RISK sauf que...contrairement à ce jeu de stratégie du sang coulera...le sang des innocents...

Elle est terrible la lettre de Michel MANOUCHIAN.

Bisous Dana, passe une bonne nuit...

Écrit par : JanSheng | 24/02/2010

Mon frère est militaire. C'est un métier qu'il a choisi en toute connaissance de cause. J'ai tremblé souvent lorsqu'il était en mission dans la région du Golfe Persique.

Je n'ose imaginer le choc de recevoir une missive de l'armée qui apprend le décès d'un soldat à sa famille. C'est quelque chose qu'on occulte de son esprit, en se persuadant que ça n'arrivera pas.
On guette la boîte aux lettres avec anxiété. On lit les lettres qui nous apportent les nouvelles du front, on sent l'inquiétude palpable chez celui qui les a écrites. On prend à notre tour la plume. On donne des nouvelles de la famille. On ne parle jamais de cette absence pesante, de nos peurs. Puis on attend le prochain courrier estampillé par le bureau des armées à Paris. Jusqu'au retour du soldat... qu'on espère autrement que dans une boîte recouverte du drapeau national.

Alors oui, je comprends. Je compatis. Vivra-t-on un jour sans guerre ? J'aimerais pouvoir le croire.

Écrit par : ksenia | 24/02/2010

le fils unique du Proviseur du collège où sont mes enfants est mort en mission en Afghanistan. Il avait 35 ans unee femme et une petite fille de 5 ans. Des parents, des amis, des projets et des rêves...

une pensée pour eux pour tous ceux qui tombent !

Écrit par : Bérangère | 25/02/2010

J ai lu avec tristesse cette lettre d adieu du soldat pendant la seconde guerre mondiale. C est émouvant, encore plus pour tous les proches. Beaucoup d Arméniens se sont réfugiés en France aprés les événements de la premiere guerre mondiale ou une grande partie de la population Arménienne avait été massacrée par l armée Turque. Aprés avoir vécu ces horreurs, il a combattu dans l armée francaise, et cette fois il l a payé de sa vie. Triste destin.
Bonne journée Latil

Écrit par : Latil | 26/02/2010

Que faire contre la guerre, je ne sais pas. La lettre émouvante du soldat qui dit adieu et qui sait qu'il va mourir est si déchirante. Bon week end.

Écrit par : elisabeth | 27/02/2010

La vidéo que tu proposes a été supprimée par Y T...

Écrit par : elisabeth | 27/02/2010

Didou > Il y en a sûrement qui sauront trouver des arguments, moi, je n'ai qu'une réponse brève et tranchante : non.

charles > Je m'en doutais...

Virginie > Un grand merci, tardif aussi, ton commentaire me rappelle le "Rapport de Brodeck" et son Kazerskwir, un endroit d'où toute trace d'humanité s'était retirée pour faire place à la souffrance et à la terreur. Ton grand-père n'a jamais pu peut-être oublier ce passé et ce terrible paradoxe humain : l'homme est grand, mais il ne s'élève pas à la hauteur de sa grandeur. Je t'embrasse fort.

loula > Une drôle d'histoire, indeed, et parfois on fait surgir un héros de l'histoire pour le précipiter dans la fiction. Comme Jan Karski témoignant dans "Shoah", le film de Claude Lanzmann, je ne sais pas si tu l'as vu.
Ecoute Peter Gabriel, il t'apaisera... Bisous.

Manue > D'abord, merci pour m'avoir appris la sortie du nouvel album de reprises après un si long silence, je pense comme toi lorsque j'apprends de telles nouvelles, relativisons, relativisons, mais en sommes-nous capables ?

JanSheng > Tu as raison, on le sait, mais après on se marie, on a des enfants, on ne se doute pas de ce qu'il serait possible de vivre heureux, ensemble jusqu'à ce que la guerre les sépare. Les "généraux"...si seulement on les voyait à la tête de leurs armées. Et encore...Il est révolu ce temps où Mircea le Vieux ou Etienne le Grand et tant d'autres luttaient à côté de leurs soldats et les encourageaient.
A présent, il ne sont que des piètres joueurs prêts à nous balancer des sornettes et nous déterminer ainsi à cautionner leur mégalomanie va-t-en-guerre.
Bisous pour toi aussi, je t'embrasse.

Écrit par : Dana | 01/03/2010

ksenia > Tu as raison, essayer d'occulter de son esprit, c'est la seule attitude qui rend l'attente supportable. C'est ce que ma copine fait, elle ne parle que très rarement de son mari, mais je suis sûre que la nuit, lorsqu'elle ferme les yeux, il y a des pensées qui rôdent autour de son lit, au bord hésitant du sommeil. J'espère que ton soldat et les autres reviendront sains et saufs, et je garde aussi un espoir insensé qu'un jour le bruit des armes cesse. Je suis naïve, je le sais, surtout si je me souviens la disposition de notre président, faite le 4 février, d'accueillir des missiles intercepteurs américains.
Bisous.

Bérangère > Difficile de trouver des mots dans cette situation. Chienne de vie ! Je t'embrasse. Et surveille ta boîte postale !!!

Latil > Dans quelle partie de la France ? Ce qui me touche dans cette lettre, enfin, me touche le plus, c'est son immense amour pour sa femme, son souci qu'elle soit heureuse, et puis sa compréhension envers les soldats allemands, des pions eux-aussi. Ne pas ressentir la haine, combien en seraient capables ?
Amitiés.

elisabeth> Durant les années, j'ai recueilli des lettres qui m'ont remuée. Celle-ci en fait partie.
Tu as raison, il va falloir que je trouve une autre vidéo.
Bises.

Écrit par : Dana | 01/03/2010

Quelle vie terrible il a eue (son père, sa mère, son frère et enfin lui, beaucoup trop jeune), et malgré tout n'avoir jamais perdu foi en l' "autre" :

"Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous."

C'est beau et déchirant.

Écrit par : Lancelot | 03/03/2010

Lancelot > Un peu comme Anne Franck... toute sa famille sauf son père.
" C'est la guerre, les quais sont encombrés de familles qui pleurent, de mères qui nouent une écharpe autour du cou du fils soldat, de femmes qui étreignent une dernière fois le corps d'un amant, d'enfants épeurés qui regardent leur père habillé en militaire." (K.P.)

Bises,chevalier.

Écrit par : Dana | 03/03/2010

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