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04/03/2012

moments of being

Un jour, j'avais 20 ans, j'ai perdu toutes mes photos lors d'un déménagement. Si j'ai pu récupérer par la suite des photos de l'enfance dans ma famille, celles de ma vie estudiantine se sont à jamais égarées. Du moins, c'est ce que je pensais jusqu'il y a quelques semaines. J'ai souffert oui, à l'époque, car un grand pan de ma vie, de ma jeunesse insouciante et rêveuse avait soudainement pris la griseur d'un ciel d'éclipse en me plongeant dans une apnée temporelle d'un quart de siècle. 

Et puis, récemment, une copine d'avant, une copine du fond de l'âme, comme j'aime les nommer avec un terme emprunté à F.Dard, m'a fait signe. Sur ce FB tellement décrié par ceux qui pensent que ce n'est que la vitrine d'un vide et d'une solitude. Pour moi, c'est, en ce moment, la réunion de classe et le pot d'amitié. 

Car, grâce à ces échanges, j'ai récupéré non seulement des photos, mais aussi, et surtout, des bouts de moi qui étaient ensevelis dans le dédale de la mémoire. Je me suis rendu compte que, pendant tout ce temps où l'on s'était perdues de vue, j'étais néanmoins présente dans leurs conversations, dans leurs pensées. J'avais continué d'exister, oui, discrètement, bien que je fusse, moi-même, égoïstement, trop tire-bouchonnée autour de ma vie récente. 

Peu à peu, au gré de nos échanges, elles m'ont rendu, avec mon surnom d'autrefois, "Dani",  cette mémoire confisquée, ont fait exploser la carapace d'oubli tout en me délivrant à quelques surnois prédateurs de la joie de vivre qui rôdent parfois autour. 

Tels des éboulis emportés par une tempête subite, des souvenirs s'accumulaient, fusaient, en me mettant au diapason de leur humeur, en me ramenant vers cette époque où je n'étais guère radine de sourires, de confiance, où la colère et l'aigreur m'étaient quasiment inconnues.

"Tu te souviens ? Il faisait -22 degrés et tu es arrivée au foyer la tête nue ? " , "tu te souviens le pot de crème de marrons qu'on s'est partagé avec un seul cuiller ? " (il aurait fallu vivre au temps du communisme et de la disette  pour comprendre le soupir d'aise de L. lorsqu'il a lâché, les yeux clos "hmm, orgasme " ), " tu te souviens, de temps en temps tu m'offrais une manucure, et puis on allait flâner au Cismigiu, avant de rejoindre la chorale", " " je me souviens ta mousseuse chevelure blond cendré et tes yeux bleu glacier, tu ressemblais à B.Fossey, et puis le sourire et une certaine innocence, un je ne sais quoi dans le regard", " je me rappelle ta générosité légendaire, -celle du Verseau, grand humaniste !- qui m'époustoufflait du temps de nos études...", " tu te souviens, on a volé des roses, tu m'as prêté une robe..."

 Je ne me souvenais pas grand-chose, j'avoue. Ma copine M. possède, manifestement, une mémoire en granit-alors que la mienne est plutôt défaillante- et elle a plus d'une corde à son talent de conteuse. Mais je me souvenais, en revanche,  des yeux noisette à reflets mordorés , des yeux verts ou des yeux de jais, des chevelures flamboyantes, des démarches fières et allègres ou bien d'une présence éthérée, délicate, comme venue d'un autre siècle. 

Des parcelles de sensations, des éclats de mots, des frôlements, des échos cachés en nous comme une feuille séchée dans les pages d'un dictionnaire, feu de broutilles que le vent inextricable de l'amitié vient de ranimer. Je leur dois le goût de la flânerie, du rêve insensé, de l'enthousiasme, de la lecture, un petit faible pour le latin et une adoration sans faille pour l'univers féminin. Folie y comprise ! 

Mais je leur dois aussi de garder cette générosité dont elles m'affublent, et, de temps en temps, un coup de fou rire. Car des copines de cette trempe, ma foi, il faut être à la hauteur !