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20/10/2009

Attraversiamo!

" Tu dois pouvoir mieux faire!" m'a écrit Alex Cessif dans un commentaire sur la note précédente. J'ai souri. Que de fois n'ai-je répété cette phrase à mes élèves! De plus, elle m'a ramenée, comme il m'arrive souvent, vers mes lectures; vers ce mot que les Italiens emploient souvent lorsqu'ils se baladent et qu'ils décident que c'est le moment de changer de trottoir. Drôle d'inconstance! Si ce n'est qu'un clin d'oeil enjoué à la routine. Serais-je Italienne, je valserai peut-être aussi avec la vie d'un trottoir à l'autre...

Mais que pourrait-il advenir à nos héros ? J'ai fouillé dans ma mémoire "littéraire" pour en ressortir plusieurs scénarios.

L'un d'eux, offert gracieusement par Camille Laurens, correspondrait parfaitement à la fleur bleue que je suis:

" Quelquefois, pourtant, je rêve au moyen de nous rejoindre. C'est en dormant, souvent- Morphée me berce et j'entrevois comment prolonger cet amoureux sommeil dont le dieu est un homme. Alors je vous vois- vous êtes au bord de l'oubli, mais je vous vois, vous tendez les bras vers moi, et moi je viens, j'avance vers vous qui m'êtes destiné- mon destinataire. C'est vous, c'est bien vous sur la rive opposée, la distance entre nous se réduit, bientôt s'annule, dansons, veux-tu, je te rejoins et tu m'étreins- ah serez-moi, emportez-moi- qu'on est bien, oui, qu'on est bien, dans ces bras-là!"

 Soupirs. Yeux embués. Musique astrale.

Ou bien, cette version imaginée par ma Diva préférée, où le héros est torturé par moultes questions:

"Je la salue? Je passe mon chemin comme si de rien n'était ? Je patiente quelques secondes, serait-ce trop tôt ? Serais-je trop audacieux ? Et si elle ne me (re)connaît pas, si elle va se moquer de moi ? Bon, j'y vais maintenant et advienne que pourra, je sais que c'est lafemmedemavie. "

Mais il se peut aussi que ce soit elle qui traverse. Seulement voilà. Elle est superstitieuse, elle a l'âme de Mathilde d'"Un long dimanche de fiançailles" dévouée à un espoir insensé. Elle aime faire des paris  et conjurer le sort.

" Si la première voiture qui passe est rouge, je traverse."

" Si le feu passe au vert jusqu'à ce que je compte jusqu'à dix, je traverse."

En procédant ainsi, elle prend néanmoins, comme Josephine dans "Les yeux jaunes des crocodiles", un grand risque.

" Un homme en duffle-coat, les cheveux mi-longs, châtains, les mains dans les poches, traversait sans se presser. [...] Il s'était retourné et faisait de grands gestes en montrant le feu qui allait passer au vert. [...] Une jeune fille mince, ravissante, s'élança vers lui et le rattrapa. Elle enfonça une main dans le duffle-coat et lui fit une caresse sur la joue de l'autre main. L'homme l'attira vers lui et l'embrassa.

Josephine baissa le nez et soupira. "

Franchement, j'avoue que c'est le scénario qui me tient le moins au coeur. Je lui préférerais de loin une rencontre "extebarienne" où l'héroïne croise un type bizarre à la barbe et à la tunique qui, mine de rien, lui file une boussole, signe qu'elle avait perdu le nord et qu'elle "ferait peut-être bien de bifurquer au lieu de suivre le sentier tracé" à son intention par les pas de cet homme à qui elle était restée enchaînée.

"Je le laisse s'en aller, je le laisse s'en aller..."

L'héroïne se dégarnit des souvenirs de lui comme une bougainvillée dont les pétales sont emportés par le vent d'autan, le vent des fous...

Dans une perspective toujours extebarrienne, ils pourraient se décider, tous les deux, au même instant, de traverser, afin de se rencontrer quelque part, entre Vénus et Mars, au milieu d'une ruelle et de vivre d'amour et de Prozac au bord de l'autoroute, jusqu'à ce que les démons du passé les séparent.

 J'ai laissé pour la fin un scénario nimbé de magie, un drame sans mélo offert par Muriel Burberry. Après 53 d'existence en retrait, madame Michel semble avoir enfin trouvé une sorte de Kalos Kai agothos, cet équlibre parfait entre le bien et la beauté, amené par l'homme aux camélias, monsieur Kakuro, ami providentiel qui vient combler les différences qui les séparent et réunir les mondes respectifs. Féconder le temps de gouttes d'éternité tangibles et magiques en même temps.

 Mais, au détour d'une ruelle, elle se fait renverser par une banale camionette qui la ramène à la réalité. Peu importe. L'amour l'aura rachetée.

Même si elle n'a pas la chance de l'architecte de l'un de mes chick-flicks préférés, interprété par Keanu Reeves, oui, elle n'a pas la chance d'être prévenue par un petit mot qui lui épargne une mort absurde et diffère sa traversée. " Alex wisely decides to remain on the sidewalk, splitting himself off from the original timeline. "

Comme j'aurais aimé que Meg Ryan soit aussi avertie par son ange dans sa maison du bord du lac Tahoe !

 

Essouflée par la diversité du champ des possibles, je me dégrise subitement.

Je ne suis pas un ange. Quoique.

Je n'ai pas le pouvoir de remonter le temps. Ni celui de rembobiner la vie.

Alors, Alex Cessif, tu as raison. On ne le répètera jamais assez : "Fais gaffe en traversant! " Même une ruelle. Surtout une ruelle.

A défaut d'être caressé par l'aile d'un ange, on peut être atteint par celle d'une camionette criminelle (pré)destinée à freiner notre élan et écourter une belle histoire "de chairs et de corps emmelés dans une transe inexplicable", un amour inaltérable et souple comme un superbe velours.

 

Voilà. J'ai essayé de faire d'une pierre deux coups. Cette note est, à la fois, un cadeau de bienvenue pour Alex Cessif et une façon de relayer le tag de Chriss sur mes auteur(e)s féminin(e) s.

 

 

envoyée par shellyblue 75

Commentaires

Une pierre deux coups, très réussi.

Écrit par : Bougrenette | 21/10/2009

Royale offrande, ces mots choisis, ces auteur(e)s (shame on me) inconnu(e)s* de moi, dont le temps disponible est inversement proportionnel à l'envie de les lire, capable de faire naître ces phrases sublimes qui justifient l'apprentissage de la lecture:"Morphée me berce et j'entrevois...."L'instant sex de la Joséphine de Katerine Pancol, et le courage d'être soi. Parce qu'un jour elle m'a dit: "vous avez un message"Je viens de traverser la rue à la rencontre d'elle pour savoir qui je suis . Une rue large de 600 kms. Je viens de la quitter emportant son odeur et son souvenir.C'était Meg Ryan en mieux, le versant adret de l'amour, inaltérable puisque nous n'en consommâmes que la tranche de temps fine, èphémère et délicate d'un one shot. Attraversiamo! Toujours, attraversiamo!
*Je sais, le masculin l'emporte sur le féminin dans la grammaire machiste.

Écrit par : Alex Cessif | 21/10/2009

Alors ? Qu'en as-tu pensé des "Yeux jaunes" ?

Bisous

Écrit par : Brigitte | 21/10/2009

Magistral !
tu réponds à ce tag avec beaucoup de subtilité
Je vais faire la curieuse , aller voir le monde d'Alex

Écrit par : Jeanne | 22/10/2009

J'aime bien toutes ces pistes possibles, ton esprit fait toujours toute cette gymnastique quand tu écris ?!

Bien trouvée aussi l'image de "l'attraversiamo" je trouve, efficace.

"vivre d'amour et de Prozac au bord de l'autoroute", énorme ;-) !

Juste un petit bémol pour Placebo : il n'y a pas que dans la spiritualité qu'on ne joue pas dans le même camp ! ;-) (et c'est ça qui est enrichissant aussi)


bises

Écrit par : Simon | 22/10/2009

Sylvie Germain, Annie Ernaux, Alice Ferney, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir....et elles, tu ne les aimes pas ? sympa ton billet

Écrit par : Bérangère | 23/10/2009

Bougrenette> J'ai toujours aimé faire des ricochets ; ) Je t'embrasse fort.

Alex Cessif > Elle avait aussi un chien ? (sourire). Du bonheur, vous n'avez consommé que le nectar... Et il paraît que le féminin l'emporte sur le masculin dans une grammaire sentimentale.

Brigitte> Ben, j'ai appris qu'y'a des crocodiles à Paris ! Kiss.

Jeanne> Ma modestie proverbiale est mise à mal ; ) Le monde d'Alex Cessif est aussi venu chez toi, comme vous êtes curieux tous les deux, tss tss . Bises, ma Jeanne.

Simon> D'abord, tu m'as grave manqué, oui, je radote (c'est l'âge!). Et ton coup d'oeil "médical" sur les textes.
Attraversiamo est un mot déniché chez E. Gilbert, quant au Prozac, il vient de Extebarrria, à force de la lire, on s'impregne un peu de cynisme, faut alterner!!!

Allez, un petit cadeau musical pour me rattraper ( j'ai triché, chuis allée voir sur ton blog ) :
http://www.wikio.fr/video/223922

Bérangère > Sourire. Tu m'a sdéjà posée cette question, sur une autre note. J'y ai répondu. Sylvie Germain est ma marraine de blog en quelque sorte, je suis une semeuse de sel aussi. Bises.

Écrit par : Dana | 24/10/2009

En effet, il faut faire très attention quand on traverse car on peut le regretter toute sa vie. J'aime bien Meg Ryan comme actrice. Bonne soirée Dana.

Écrit par : elisabeth | 26/10/2009

Il y a chez Alex Cessif des paroles d'une belle chanson de Georges Moustaki....

Écrit par : elisabeth | 26/10/2009

elisabeth > Oui, j'ai lu, il a raison Georges , " Sans savoir ce qui nous attend/Ainsi commence le voyage/Semé d'écueils et de mirages" . Je n'oublierai jamais "La Cité des Anges" rythmé par les accords de U2 et Peter Gabriel.
Bises.

Écrit par : Dana | 26/10/2009

"Je ne t'attends pas au bout d'une ligne droite:
tu sais, il faudra faire encore des détours
et voir passer des jours et des jours,
mais sans que rien ne vienne éteindre notre hâte.

Il pleut chez moi, chez toi le soleil est de plomb.
Quand pourrons-nous enfin marier nos saisons ?
Quand pourrons-nous rentrer ensemble à la maison ?
Nous avons le temps, mais pourquoi est-ce si long ?"

Georges encore

Écrit par : Georges | 26/10/2009

http://www.youtube.com/watch?v=ugf9Ll90rRs&hl=fr

Écrit par : Georges | 26/10/2009

Les commentaires sont fermés.