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11/04/2010

la maison du bonheur

Lorsqu'il y a quinze ans mes amis ont quitté leur appart pour s'installer dans une grande maison de plus de 200 m. carrés, JL m'en a envoyé quelques photos pour que je puisse les y situer. Au dos d'une des photos c'était écrit : "C'est la maison du bonheur. Je suis sûr que tu aimeras."

 

 Pour s'y rendre, en partant du centre-ville, on emprunte quelques ruelles, ensuite on traverse le canal des deux mers qui, surtout par les matins froids et brumeux, semble irréel. La jolie passerelle réservée aux piétons  est comme une frontière : avant de la franchir on est dans l'univers du travail, des contraintes,  du tourbillon des problèmes du quotidien, après l'avoir franchie on est "chez soi". L'esprit délimite ainsi l'espace en lieux hostiles et lieu accueillant, lieu où se consomme un bonheur sans cesse renouvelé.

Au détour d'une ruelle  au nom oriental, on aperçoit une maison peinte en jaune soufre qui lui donne un air florentin. Pour que l'illusion soit totale, mes amis y ont planté deux cyprès. Une fois le portillon passé, ou oublie la rue, les passants, la ville. Dans les beaux jours, des merles, des étourneaux, des rouges-gorges, des moineaux viennent chercher leur pitance dans le jardin. Ils s'envolent dérangés par notre présence, mais reviennent aussitôt  et se remettent à piailler frénétiquement.

Mais en ce jours de début d'allégresse printanière c'est surtout à leur jardin, à leurs plantes que je pense.

Dans un superbe vase bleu à poignées, une hellébore cueillie dans la Sierra de Guara. Une plante qui passait jadis pour guérir la folie, celle-là même dont le Lièvre de la Fontaine conseille à la tortue d'user pour se purger lorsque celle-ci annonce qu'elle compte bien battre à la course le véloce animal. Une plante peu frileuse qui ouvre ses fleurs en hiver. Après, c'est une splendide bougainvillée plantée dans un grand pot en céramique jaune qui prend le relais. D'après mon ami, aucune fleur n'a, comme celle-ci, la faculté d'accrocher la lumière. Hélas, elle craint le gel et le froid, alors ils sont obligés de la mettre à l'abri pour l'hiver dans une petite cave.

Lorsque le printemps annonce son installation "pour de bon", les week-ends et les fins d'après-midi sont consacrés au jardin pour rempoter les autres fleurs qui ont passé l'hiver  à la cave. J'en ignore le nom, mais la femme de mon ami les connaît sur le bout du doigt car elle est passionnée de jardinage. Quant à lui, il se contente des tâches sans noblesse : mélanger terre, fumier, tourbe et autres composts pour en ressortir les mains noirs et les reins brisés. Mais il peut pas refuser à sa charmante épouse de l'assister dans ses travaux, surtout que dans quelques semaines il aura le plaisir d'admirer le résultat de leurs efforts !

"Cultiver son jardin". Jamais ces mots n'ont eu autant de poids que lorsque je traînais dans cet endroit que mes amis chérissent et où ils mettent de la passion. Il leur permet aussi de renouer avec le rythme des saisons...

Avec un Opinel hors-classe, J., en jardinier habile, taille attentivement un biseau franc et net, bien propre, au bout d'une tige qu'elle va bouturer: du soin apporté à cette opération dépend l'avenir de ce qui n'est aujourd'hui qu'un vulgaire bâton engourdi par l'hiver, mais qui porte la promesse d'un géranium ou d'une autre plante. A sa doigté elle doit ajouter cette lame parfaitement affûtée, tranchante comme un rasoir. Le couteau comme prolongement de la main experte... Du majeur, elle creuse un trou de quelques centimètres dans le terreau d'un petit pot en terre cuite. Elle trempe la tige biseautée dans une mystérieuse poudre marron, "hormone de boutourage", et le tour est joué.

Pour moi qui ne suis pas experte, au contraire, les fleurs sont souvent en danger avec moi, tout cela relève un peu de la magie.

La première fois que je leur ai rendu visite, j'ai eu l' envie inexplicable de m'acheter un couteau. Je ne connaissais pas les Opinel au manche de hêtre vernis, et ma déception a été vraiment grande que de voir sa lame si brillante au jour où l'on achète ternir au premier usage car l'acier n'est pas inoxydable.

Des années plus tard, on m'en a offert un autre, un Laguiole aux formes assez féminines et que je trimballe souvent dans mon sac. De temps en temps j'essuie sa manche, je frotte sa lame à la laine d'acier pour éviter qu'elle ne rouille.

Ce sont aussi mes souvenirs que je préserve pour qu'eux non plus ne rouillent pas.

Il y a des souvenirs dont on ne veut jamais guérir...

 

 

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